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Comment prendre des décisions qui respectent l’éthique dans un monde complexe
Auteur: Patrick T. Smith, Ph.D

 
Voici une vieille plaisanterie qu’on utilisait  régulièrement lorsque j’étais à l’école primaire. « Comment pourrais-tu nettoyer les dents de Dracula ? »  La réponse était: «De façon très prudente.»

Quand je pense à la question « Comment devons-nous prendre des décisions qui respectent l’éthique au sein d’un monde complexe?», la réponse utilisée dans cette plaisanterie enfantine serait sans doute appropriée.  

Il est certain que plusieurs questions morales possèdent déjà des réponses très claires.  Par exemple, nous ne devons pas torturer des personnes innocentes simplement pour nous amuser. L’immoralité reliée à cette activité devrait être incontestable. Et pourtant, nous devons faire face à beaucoup de questions éthiques urgentes dans notre contexte contemporain qui  sont difficiles et auxquelles on ne peut répondre tout bonnement, sans réflexion. Nous vivons malheureusement à une époque où plusieurs discussions importantes sur l’éthique ne sont pas considérées et sont trop souvent réduites à des clichés. Dans la communauté chrétienne, quand cela se produit, nous ne sommes malheureusement pas préparés à nous prendre en main et à équiper les autres dans le but de prendre de bonnes décisions éthiques dans un monde complexe.

La Bible et les décisions concernant l’éthique

Beaucoup de chrétiens orthodoxes proclament leur foi en la Bible, d’abord et avant tout en tant que narration inspirée du plan de rédemption miséricordieux de Dieu pour sa création. La Bible nous aide-t-elle aussi à prendre des décisions qui respectent l’éthique?  Cela est certain puisque la révélation divine grâce aux Écritures joue un rôle primaire dans l’éthique chrétienne.  Nous devons toutefois prendre soin de bien comprendre la nature des Écritures, et aussi de ne pas utiliser la Bible à mauvais escient lorsqu’il s’agit de prendre des décisions éthiques.

Nous ne devons pas penser à la Bible comme étant simplement un livre où on peut découvrir  des préceptes moraux qui pourront nous aider à prendre des décisions éthiques.  Si nous faisons cela, je crois que nous passons à côté du but de ce livre. De plus, cette approche augmente la possibilité que nous tombions dans l’erreur ou que nous utilisions mal la Bible en ce qui concerne l’éthique.     

Les prescriptions morales de la Bible deviennent une autorité pour la communauté chrétienne lorsqu’elles sont interprétées correctement et appliquées de façon appropriée dans notre environnement contemporain. Même avec le plus grand respect pour les Écritures qu’ont la plupart des chrétiens évangéliques, de nombreuses situations ne sont vraiment pas aussi explicites qu’on le voudrait et il est parfois difficile de trouver un verset ou un passage qui contient des directives claires concernant une situation spécifique. Pensons, par exemple, aux traitements des patients en phase terminale ou lorsque la mort d’un patient est imminente. D’un côté, la théologie chrétienne reconnaît que la vie humaine a une grande valeur et qu’elle constitue un bien très précieux qui exige une intendance fidèle. D’un autre côté, elle reconnaît aussi que notre existence humaine de ce côté des nouveaux cieux et de la nouvelle terre n’a  pas une valeur extrême et qu’il y a un temps pour mourir. Il est donc souvent compliqué de déterminer sur une base purement biblique ou théologique à quel moment exact une personne devrait entreprendre diverses sortes de traitements thérapeutiques, lorsque la vie s’achève.    

De plus, “on ne trouve pas dans la Bible des discussions directement reliées à la guerre, aux expériences génétiques, à la pollution environnementale” ainsi qu’à de nombreux autres sujets contemporains.  Il y a donc un processus de délibération qui doit se faire pour discerner à quel point les principes bibliques peuvent s’appliquer dans des situations complexes. Voilà pourquoi la discipline de l’herméneutique est aussi importante dans toutes les facettes de la formation des disciples chrétiens. Les Écritures gardent néanmoins une place primordiale dans la réflexion sur l’éthique chrétienne.

La complexité reliée à l’établissement d’une éthique

Plusieurs raisons rendent l’éthique complexe.  Premièrement, nous sommes des créatures déchues vivant dans un monde déchu (Genèse 3). Comme Cornelius Plantinga junior l’a noté, « Le péché cause une distorsion de notre caractère qui est en fait un point central de humanité. Le péché corrompt nos capacités humaines puissantes, la pensée, les émotions, la parole et les actes afin qu’ils deviennent des centres d’attaque sur les autres ou de défection, ou de négligence. » Il est certain que cela affecte grandement notre façon de vivre et les décisions que nous prenons concernant l’éthique.

Un deuxième facteur est que « nous nous retrouvons parfois face à des déclarations contradictoires  (voir plus bas). Troisièmement, nos décisions individuelles sont souvent affectées par une “pluralité de publics”, ce qui signifie que de nombreux groupes ou plusieurs personnes ont un droit légitime quant aux décisions concernant l’éthique. Envers qui la personne est-elle d’abord responsable lorsqu’elle prend des décisions ?  Et finalement, les faits empiriques peuvent ne pas être faciles à discerner ou à vérifier. Il est très reconnu que dans les questions d’éthique appliquée,  plusieurs jugements moraux s’appuient sur des faits qui ne relèvent pas de la morale.  

Afin d’illustrer ce dernier point, considérons les points d’éthique reliés à la transplantation d’organes.  Il est certain que beaucoup de gens trouvent qu’il est moralement inacceptable de prélever des organes vitaux chez des personnes qui ne sont pas encore décédées dans le but de sauver d’autres vies. « Étant donné qu’une  transplantation réussie exige que les organes soient enlevés des cadavres le plus tôt possible après la mort pour éviter que les organes soient endommagés par le manque d’oxygène, on porte un grand intérêt à connaître le moment précis où les personnes meurent dans le but de prélever les organes le plus tôt possible ». Or, le fait de déterminer cela est une question empirique une fois que les critères théoriques ont été établis.  C’est pourquoi les faits empiriques sont cruciaux dans la détermination de la moralité d’un don d’organe dans un cas particulier.

Critères à considérer avant de prendre des décisions éthiques

Au sein de toute cette complexité, il existe une possibilité réelle et presque inévitable que des dilemmes éthiques surviendront.   On pourrait dire qu’un dilemme éthique est « un conflit qui s’installe lorsque les intérêts de deux ou plusieurs valeurs ou vertus sont en jeux. »  Dans de telles circonstances, il est important d’avoir certains outils qui peuvent nous aider à prendre des décisions éthiques saines.  

Le modèle suivant représente seulement un de ces projets de travail.  

1.    Rassembler les faits.  Dans plusieurs cas, les problèmes sont résolus en expliquant clairement les détails reliés à un cas particulier.  On doit poser la question « Quel est le contexte de cette délibération éthique ? » Étant donné que nous prenons des décisions éthiques dans des circonstances spécifiques,  si nous ne sommes pas au courant des faits, il est impossible de faire une évaluation morale dans tel ou tel cas. 
2.    Déterminer les problèmes reliés à l’éthique. Nous devons parfois faire face à des situations qui présentent des difficultés personnelles et professionnelles sans toutefois constituer un dilemme éthique.  À ce point, il est important d’identifier de façon aussi spécifique que possible quels sont les intérêts moraux qui s’affrontent et qui doivent être résolus.
3.    Déterminer les vertus et les principes pertinents. Si le conflit auquel nous nous adressons est un dilemme éthique, il est certain qu’il y aura conflit entre les valeurs ou principes sous-jacents. Après avoir identifié ces principes vient la tâche de déterminer lequel devra avoir la priorité dans ce contexte où il est impossible d’éviter que des conflits moraux surgissent. 
Cette approche, qu’on appelle parfois absolutisme gradué ou hiérarchique considère à priori  les règles et les principes moraux. Cela signifie simplement qu’à première vue, ou toutes choses étant égales, ces règles comportent des obligations morales dans la plupart des circonstances, mais elles peuvent être outrepassées par des considérations éthiques dans des situations où il existe des dilemmes moraux authentiques. «  Concernant l’éthique chrétienne, il est clair que les principes bibliques doivent être considérés beaucoup plus sérieusement. » 
4.    Faire une liste d’alternatives. Avec ce modèle, il est très important de demander : « Quelles sont les moyens d’action qui peuvent être entrepris ? » Lorsque cet exercice sera terminé, nous verrons que certaines décisions se sont éliminées d’elles-mêmes.  Nous devrions toujours nous efforcer d’être aussi créatifs que possible afin d’éviter un dilemme moral. Plus on réussit à générer des alternatives et plus il sera probable que nous découvrirons une option qui minimisera les conséquences négatives potentielles reliées à nos décisions. 
5.    Comparer les alternatives par rapport aux vertus et principes utilisés. Il est très possible que la plupart, sinon toutes ces alternatives, à l’exception d’une ou deux, soient éliminées  lorsque nous leur appliquons les principes et valeurs pertinents.  « Afin de rendre une décision claire,  nous devons considérer plus à fond une ou plusieurs vertus/valeurs que les autres. Une chose m’inquiète au sujet de l’approche absolutiste graduée ou hiérarchisation éthique, c’est que certains peuvent simplement ‘utiliser la notion du prima facie’ comme un écran de fumée dans le but de faire leurs propres choix quant aux règles auxquelles ils désirent adhérer, dans n’importe quelle situation. » Afin d’éviter ce scenario, certaines conditions doivent s’appliquer lorsqu’on veut déroger à la règle du prima facie : (1) des raisons publiques justifiables doivent être offertes en faveur du principe de la dérogation ;  (2) cela ne devrait être utilisé qu’en dernier recours ;  (3) « nous devrions rechercher une sorte d’action qui risque le moins possible d’endommager le principe auquel on dérogera » ; et (4) Le principe auquel on aura dérogé devrait laisser des « traces morales », soit le discernement du poids moral concernant la décision qui est en train d’être prise.    
6.    Considérer les conséquences.  Si on n’a pas été capable de rejeter complètement toutes les alternatives possibles en appliquant les règlements, il faudrait alors déterminer les conséquences positives et négatives de cette décision et en faire une aussi bonne évaluation qu’il est possible de le faire.
7.    Prendre une décision qui soit conforme à l’éthique chrétienne. Nous devons éviter «  la  paralysie de l’analyse » et prendre une décision.  Cela signifie parfois qu’on doive choisir la meilleure alternative disponible même si ce choix ne semble pas être idéal. Quelle que soit une décision qui doit être prise, elle devrait être compatible avec une éthique chrétienne d’une manière humainement possible et tout en tenant compte des caractéristiques uniques du scénario.

Pour comprendre comment ces étapes peuvent s’appliquer à une situation concrète, utilisez l’exemple d’un homme qui cachait des Juifs durant la 2e guerre mondiale. Les faits étaient que les soldats repéraient et poursuivaient les personnes qui étaient d’ascendance juive et les exécutaient sans qu’aucun jugement n’ait été porté.  Les soldats demandent carrément à cet homme s’il sait où des personnes juives se trouvent.  Cet individu a alors l’opportunité de protéger des vies humaines en ne déclarant pas l’endroit où des juifs se trouvent sur sa propriété.  Ici, la question éthique qui se présente est qu’il existe un conflit moral entre dire la vérité et sauver une vie alors qu’il en a la capacité et l’habileté.

Pour déterminer les vertus et les principes qui doivent s’appliquer dans ce cas, il est important de réfléchir à l’enseignement biblique qui dit que Dieu est un Dieu de vérité.  Il s’attend à ce que son peuple dise la vérité et « Les lèvres fausses sont en horreur à l’Éternel » (Proverbes 12.22). On sait aussi que pour Dieu, la vie humaine a une grande valeur et il s’attend à ce que nous fassions la même chose (Matthieu 22.37-39). Lorsque nous avons la possibilité de sauver la vie de quelqu’un d’autre ou d’empêcher le mal d’atteindre d’autres personnes, nous avons la responsabilité de le faire.

Quelles sont les alternatives pour une personne qui se trouve dans cette situation?  Dire la vérité ou utiliser la tromperie puisque nous croyons protéger la vie humaine de cette façon. (Pour cet exemple employé ici pour illustrer comment ce critère peut être utilisé, nous allons assumer qu’aucune autre alternative n’est disponible.) Lorsque nous comparons les alternatives, il semble surgir un conflit inévitable. La question devient alors : « Lequel de ces principes moraux, qui sont à la fois enracinés dans notre éthique chrétienne, que nous devrions accorder plus de poids? »

Si on considère les conséquences, il est presque certain qu’une ou des vies humaines seront perdues de façon injustifiable si on révèle où sont cachés des Juifs.  Certains pourraient décider que même si mentir n’est pas la chose idéale à faire, le principe de sauver une vie grâce à quelque forme de déception est moralement permissible, dans une telle situation. Ces mêmes individus, par contre, devraient aussi souligner qu’il est moralement impératif de ne pas en faire une pratique commune lorsque cela nous convient. La tromperie ne devrait être utilisée que lorsqu’il y a un conflit inévitable comportant des conséquences graves qui sont en jeu.

Le caractère et la communauté

Il est important de savoir que la prise de décisions éthiques ne peut être simplement réduite à identifier les règles et les principes et à les appliquer. Une partie cruciale de l’éthique chrétienne concerne ce que nous devons faire à ce sujet. Le fait d’appliquer les règles, bien que cela soit important, ne constitue qu’une partie de la réponse chrétienne  adéquate. Il est aussi important de réfléchir et de développer la sorte de personnes que nous devrions être.  Les chrétiens doivent atteindre un équilibre entre ce que certains ont appelé « les règles décisionnelles de l’éthique et l’éthique basée sur la vertu. » La première catégorie pourvoit des réponses à la question, « Que devrais-je faire ? » alors que la dernière répond à la question, « Quelle sorte de personne devrais-je être ? »

Il est certain que le caractère compte aussi. De plus, l’observation de l’éthique est un exercice profondément communautaire. Nous avons été créés en tant qu’êtres sociaux. Certaines responsabilités morales doivent être partagées et les liens moraux sont des exigences morales au sein d’une communauté authentique. Il est en effet difficile d’exagérer lorsqu’il s’agit de notre interdépendance les uns envers les autres.  C’est pourquoi, la plupart du temps, nous ne prenons pas de décisions éthiques de façon isolée. Notre caractère ne grandit pas non plus si nous ne faisons pas partie de la communauté qui nous aide à le former et à l’édifier.

Kyle Fedler décrit très bien ces points lorsqu’il écrit:

“Le développement du caractère chrétien est absolument nécessaire à la vie chrétienne.
Être un chrétien, c’est se laisser former par les valeurs, les engagements et la vision globale de la communauté de foi à un tel degré que notre personnalité commence à intégrer certaines vertus et dispositions… Alors que la croyance et l’action sont des points vitaux pour être un chrétien, la personne doit se permettre d’être façonnée et modelée en une sorte de personne particulière, afin de développer un ensemble de vertus qui reflètent ce que nous prétendons croire au sujet du monde, en tant que chrétiens.”

Cela explique pourquoi être membre d’une église locale est si important pour les disciples de Christ.  Dans le contexte de la communauté chrétienne, nous pouvons observer la puissance transformatrice du Saint-Esprit qui est à l’œuvre dans les vies du peuple de Dieu. Prendre des décisions dans un monde complexe n’est pas uniquement un processus de délibération, quoiqu’il ne s’agit pas certainement pas de quelque chose de moindre. Nous prenons des décisions éthiques au sein de la complexité d’une de façon holistique. Cela ajoute à notre délibération mentale une sorte de caractère approprié qui est développé par la réflexion sur La Parole de Dieu et sur son monde, et qui fait partie de la communauté des croyants. (Romains 12.1-2)

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